Témoignage d’une gardée à vue indignée à l’issue de la manifestation du 26 Janvier 2014.

Le dimanche 26 Janvier, après avoir participé à une manifestation autorisée, j’ai voulu rentrer chez moi. Avec une amie, nous nous dirigions vers l’avenue de Villars qui était bloquée par des CRS qui gazaient quiconque tentait de s’approcher, même pacifiquement.
Nous avons donc tenté de nous réfugier au café Vauban en pensant que les serveurs nous protégeraient, mais le café fermait et les CRS postés à coté du restaurant nous ont refusé la sortie de la place en nous informant que nous pourrions sortir avenue de Tourville. Nous nous sommes alors rendues alors à l’autre bout de la place où nous nous sommes à nouveau vues refuser la sortie. Nous avons attendu contre le mur en pensant que nous serions plus en sécurité si quelque chose nous retenait contre les mouvements de foule. Cela a été notre erreur, les CRS, nous prenant en étau, nous ont matraquées pour que nous rejoignions la foule un peu moins calme que nous.

Nous sommes parvenues à parler à un des capitaines des policiers qui barraient l’avenue de Tourville qui nous a expliqué que nous étions immobilisés pour le moment en attendant que les esprits les plus échauffés se calment et qu’une fois la tension retombée, nous pourrons sortir sans soucis. Rassurée, mon amie et moi avons attendu. Il devait être entre 18h30 et 19h. Environ 15 minutes plus tard, des CRS plus calmes sont entrés dans la foule et ont désignés de manière aléatoire des personnes « sans violence » et disant que ceux qui voulaient quitter les lieux devaient attendre devant eux. Mon amie et moi nous sommes exécutées et un CRS est venu me chercher. Je l’ai suivi calmement en pensant qu’ils nous exfiltraient un par un pour éviter les heurts.
Un beau mensonge puisqu’a peine le cordon franchi, deux CRS m’ont sauté dessus et m’ont demandé mes papiers et une jeune femme en civil m’a palpée. J’ai alors demandé ce qu’il se passait et l’on m’a répondu que je le verrais bien. J’ai donné mes papiers en pensant qu’il s’agissait d’un contrôle d’identité, mais ils ne me les ont pas rendu et m’ont emmenée dans le bus.
Je suis allée m’asseoir dans le fond en pensant que la vérification d’identité prendrait du temps, mais le bus s’est rempli. J’ai alors décidé de demander ce qu’il se passait et l’on ne m’a pas répondu. J’ai demandé si nous étions en garde à vue, ce à quoi les CRS ont répondu : « vous le saurez en temps voulu ».
Le bus a démarré, personne ne savait où il se dirigeait, nous essayions de nous repérer en regardant le nom des rues, mais il faisait des demi-tours et nous nous rassurions en pensant qu’ils allaient nous libérer loin de la manifestation afin que cela se passe dans le calme. Que nenni, plus d’une heure après, nous sommes arrivés rue de l’Evangile dans le 18ème, où nous sommes sortis du bus un par un. Les policiers sur place étaient inefficaces, ils nous ont fait patienter à cinq dans un couloir, puis dans un autre … Et enfin nous sommes rentrés dans une salle où il y avait 3 bureaux, je me suis retrouvée en face de l’un d’entre eux, j’ai demandé une chaise que l’on m’a refusé. Le policier m’a demandé mon identité, je lui ai donné ma carte d’identité que l’on m’avait rendue à la sortie du bus. Je lui ai demandé de voir mon avocat que j’avais pu prévenir à la sortie du bus grâce au téléphone d’une personne interpellée comme moi et qui attendait devant le commissariat. Il m’a répondu par la négative en disant que nous verrions cela « plus tard ». Il m’a notifié mon placement en garde à vue aux alentours de 21h. Je lui ai demandé depuis quand et il ne m’a pas répondu. Il m’a énuméré les motifs de ma garde à vue et je lui ai dit que je n’étais pas d’accord et ai refusé de signer le procès-verbal de notification. En effet, je n’étais ni armée ni violente et n’ai jamais entendu de sommation de quitter les lieux. Il m’a alors répondu alors que cela l’arrangeait si je ne signais pas. Je lui demandé son matricule qu’il a refusé de me le donner.
J’ai demandé à voir un médecin, à aller aux toilettes et à avoir un verre d’eau. Il m’a à nouveau répondu que je verrais cela plus tard. Nous étions les cinq premiers à nous retrouver dans le préau de la rue de l’Evangile. Des CRS sont arrivés pour se mettre entre ceux qui s’étaient vu notifier leur garde à vue et ceux qui attendaient d’être fixés sur leurs sorts.
Nous avons discuté avec eux et ils étaient aussi indignés que nous en nous expliquant qu’il y avait eu des ordres avec des quotas à respecter et qu’ils préféreraient être dans les banlieues à régler les vrais problèmes. L’un d’eux nous a même dit qu’il était choqué mais ne pouvait rien faire et nous a raconté que lorsqu’ils attrapaient un dealer en banlieue, s’il n’avait pas vu un avocat dans l’heure, ils étaient obligés de le relâcher. Puis me voyant sauter d’un pied sur l’autre, il m’a demandé si l’on m’avait refusé l’accès aux toilettes, et je lui ai répondu que oui. Il s’est donc dirigé vers le policier qui gardait la porte du préau pour lui demander si je pouvais aller aux toilettes. Le gardien lui a répondu que non, pas pour le moment. Nous avons donc attendus deux heures dans le froid à faire des allers-retours car les policiers ne savaient pas où nous allions être conduits.
Nous avons enfin quitté la rue de l’Evangile pour nous rendre dans le 15ème arrondissement. Nous nous sommes retrouvés à 10 dans un camion. Arrivés à bon port, nous sommes sortis un par un, nous sommes faits palper puis fouiller. L’officier m’a même enlevé mon soutien-gorge.
Je me suis retrouvée dans une cellule qui sentait très mauvais avec deux jeunes femmes. Nous avions un matelas pour 3 qui avait une odeur d’urine. Nous avons demandé des couvertures car nous étions gelées et trempées, mais sans succès. Il devait être près de minuit. J’ai demandé à voir mon avocat qui savait que nous étions dans le XVème et qui attendait à l’accueil du commissariat. L’on m’a répondu que ce n’était pas le moment. J’ai enfin pu le voir entre 1h30 et 2h du matin, mais sans être auditionnée car les policiers étaient repartis en intervention. Nous avons à nouveau demandé des couvertures en rentrant dans la cellule et ils nous en ont donné 2 pour 3 en nous disant qu’elles n’avaient pas été lavées. Inutile de décrire l’odeur nauséabonde qu’elles dégageaient. J’ai voulu aller aux toilettes au milieu de la nuit mais sans succès.
Le matin, un officier est venu nous dire que nous serions auditionnés dans la journée. J’ai donc été entendue à 13h en présence de mon avocat, puis l’on m’a déconseillé de refuser de donner mes empreintes et mon ADN, je me suis donc exécutée, exténuée et énervée de ce qu’il se passait. L’OPJ ne comprenait pas vraiment ce que je faisais là et m’a dit que c’était parce que j’étais présente à une manifestation et pas en train de faire mes courses. OUF ! J’ai ensuite pu (enfin) voir le médecin car je souffrais toujours d’une douleur au dos après le matraquage de la veille.
Nous avons passé le reste de la journée sans nouvelles puis à 18h, mes camarades ont été relâchés un par un. J’ai attendu une heure seule dans ma cellule et l’on m’a dit que j’étais libre, enfin ! Je suis sortie en leur disant que je comptais bien porter plainte pour atteinte à la dignité humaine et abus de pouvoir et l’on m’a répondu que je n’avais qu’à essayer et que cela se retournerait contre moi.
Voilà le récit d’une épopée peu glorieuse pour notre pays et honteuse pour les êtres humains que nous sommes.
Sophie, 24 ans